- ORCHESTRE (DIRECTION D’)
- ORCHESTRE (DIRECTION D’)Le chef d’orchestre est une énigme pour la plupart de ceux qui l’observent. L’instrumentiste joue d’un instrument, le chanteur utilise ses cordes vocales. Mais le chef d’orchestre semble s’agiter devant les musiciens de façon incompréhensible. «À quoi sert-il?» entend-on souvent. «Est-il vraiment utile?»Au fil des siècles, la musique s’enrichit et son écriture ne cesse de se compliquer. Le nombre des parties instrumentales ou vocales se multiplie, le nombre des exécutants également. À un certain moment, il devient indispensable de confier la responsabilité de l’exécution à une seule personne, qui coordonne les actions individuelles et dirige les efforts de tous les exécutants. Le chef d’orchestre a donc davantage un rôle unificateur que dictatorial. Certes, son attitude varie beaucoup en fonction de son caractère, du tempérament de l’orchestre qu’il dirige et des rapports qui s’instaurent entre eux. Mais il existe une vieille classification qui distingue les bons chefs des mauvais: les premiers font jouer l’orchestre, les seconds l’empêchent de jouer. Peut-être trop simpliste, cette distinction met cependant en valeur un aspect de la direction d’orchestre que l’on rencontre bien souvent dans la réalité: le rôle du chef est tel qu’il peut annihiler la meilleure des formations par son incompétence technique ou artistique. Il reste toujours le maître à bord, même s’il n’est pas un chef d’orchestre, ce qui justifie cette boutade de Hans von Bülow: «Il n’y a pas de mauvais orchestres, il n’y a que de mauvais chefs!» Les instrumentistes respectent celui qui est placé à leur tête. Ils jouent en fonction de ses demandes, dans les mouvements qu’il imprime, et effectuent les nuances qu’il souligne. Si cet ensemble de requêtes (dont la plupart ne sont que tacites) constituent un cadre d’exécution agréable, ils livrent le meilleur d’eux-mêmes. Si ce cadre les étouffe, ils ne donnent que ce qu’ils peuvent donner. La direction d’orchestre relève donc autant de la musique que de la psychologie.Évolution de la direction d’orchestreAvant le XVIIIe siècle, la nécessité d’un chef d’orchestre se fait assez peu sentir, car la musique reste simple et fait appel à un petit nombre d’exécutants. Seules les représentations lyriques réclament une direction effective, qui est généralement confiée au claveciniste ou au violon solo, le Konzertmeister . Il existe néanmoins un embryon de direction dont on trouve un descendant lointain en la personne du tambour-major de nos musiques militaires: l’usage veut que le chef d’orchestre, lorsqu’il existe, batte la mesure avec une sorte de canne qu’il frappe bruyamment par terre au premier temps de chaque mesure. C’est en utilisant un tel ustensile que Lully se blessa au pied et en mourut. Mais la direction ne correspond pas à une gestique. On pourrait plutôt parler de «direction sonore».À la fin du XVIIIe siècle, la situation évolue rapidement et le rôle joué par le claveciniste et le Konzertmeister échoit à une tierce personne qui se contente de faire jouer les autres en battant la mesure. Il n’y a là rien de très nouveau car les choristes sont dirigés de la même façon depuis plusieurs siècles: dès que la polyphonie vocale se complique, le rôle du chef de chœur apparaît indispensable et suscite même la création des barres de mesure sur les partitions, points de repère sans lesquels toute exécution d’ensemble devient beaucoup plus complexe. En remontant plus loin dans le temps, on trouve le véritable ancêtre de la direction en Grèce: il s’agit de la chironomie, gestique qui indiquait aux exécutants si la note suivante était plus aiguë ou plus grave au moyen d’un mouvement de la main ascendant ou descendant.Les premiers Kappellmeister (terme germanique qui englobe les fonctions de maître de chapelle et de chef d’orchestre) dirigent face au public avec, dans la main droite, un rouleau de papier tenu par le milieu. Ce rouleau se transforme en bâton d’ébonite ou de bois, puis en baguette; le chef d’orchestre se tourne progressivement vers les exécutants (après une phase intermédiaire où il est placé de profil), mais la véritable personnalité du chef d’orchestre apparaît peu avant le milieu du XIXe siècle. Jusqu’alors, ce sont principalement les compositeurs qui font office de chef d’orchestre pour assurer l’exécution de leurs œuvres. Mais Berlioz en France, Mendelssohn et Schumann en Allemagne définissent la véritable fonction du chef et permettent à la direction d’orchestre de sortir des balbutiements de la prime enfance où elle stagne depuis un demi-siècle. Diriger un orchestre devient une spécialité; la direction, un art véritable. Wagner et Hans von Bülow réagissent contre un certain laxisme des chefs d’orchestre et, à l’image de François Habeneck, le fondateur de la Société des concerts du Conservatoire, s’attachent à améliorer le travail d’orchestre, à faire respecter les nuances et les mouvements, mais aussi à faire exécuter toutes les notes. Le véritable travail d’orchestre sous la direction d’un chef est né, et avec lui l’aspect primordial de l’activité du chef d’orchestre, son rôle au cours des répétitions. Car ce que voit le public le jour du concert ou de la représentation n’est que la partie apparente d’un iceberg. Tout le reste du travail s’effectue à huis clos. Depuis la fin du XIXe siècle, cette tendance à approfondir le travail d’orchestre n’a cessé de s’affirmer, et la technique des chefs d’orchestre s’est forgée progressivement en fonction de cet impératif. Mais des contraintes financières limitent encore parfois le nombre de répétitions des orchestres. Les chefs doivent savoir s’adapter à de telles situations dans lesquelles leur autorité, la sûreté et la précision de leur direction peuvent être de précieuses bouées de sauvetage. Enfin, depuis le début du XXe siècle, l’écriture des partitions d’orchestre n’a cessé de se compliquer au point de vue rythmique, ce qui rend indispensable la présence d’un chef, là même où elle ne l’aurait pas été auparavant, pour les petits ensembles notamment.La technique de directionLe chef d’orchestre dirige en battant la mesure de la main droite. Celle-ci est le plus souvent prolongée d’une baguette qui amplifie les gestes et les rend donc plus lisibles aux exécutants. Le premier temps de la mesure est toujours battu vers le bas, le dernier vers le haut. Entre ces deux repères immuables se placent les autres «battues», généralement sur les côtés (leur localisation varie en fonction du nombre total de temps dans la mesure). Les chefs d’orchestre «habillent» généralement ces battues de gestes qui correspondent à l’atmosphère de la musique qu’ils dirigent (ampleur, discrétion, rondeur, rigueur, etc.), mais ils doivent s’efforcer de conserver une battue très claire, car la main droite d’un chef est le point de repère des exécutants. La main gauche joue un rôle expressif: elle indique les nuances, le phrasé, les entrées principales, etc. Elle est le complément indispensable de la main droite, et le chef d’orchestre doit posséder une grande indépendance des deux mains. Sa gestique ne se limite pas aux bras et aux mains: son visage en dit souvent plus long et, au-delà du geste ou de la mimique apparente, la communication s’établit grâce au magnétisme personnel du chef qui entraîne irrésistiblement les exécutants dans son sillage.Le chef d’orchestre doit tenir compte des impératifs de chaque catégorie d’instruments et de leur position géographique sur la scène ou dans la fosse: les instruments à vent doivent respirer, il leur donne donc le signe d’attaque légèrement plus tôt qu’aux cordes ou aux percussions, et en respirant lui-même. Le même problème se pose pour les chanteurs. Lorsqu’un instrument est très éloigné, le chef d’orchestre doit tenir compte de la distance et corriger, par une anticipation, le décalage qu’elle pourrait provoquer.Dans le domaine de la technique instrumentale, les connaissances du chef d’orchestre doivent être aussi complètes que possible. Il est impensable d’imaginer un chef qui saurait jouer de tous les instruments; mais il doit être capable de s’exprimer musicalement avec un ou deux instruments. Il doit absolument connaître les problèmes techniques des instruments à cordes, car il est appelé à fixer des coups d’archet, choisir des registres ou des effets spéciaux. Dans ce domaine, plus particulièrement, il doit prendre des décisions, seul ou en accord avec le violon solo, car les cordes constituent un orchestre au sein de l’orchestre et tous les instruments d’un même pupitre doivent jouer de la même façon. À l’inverse, les instruments à vent sont beaucoup plus indépendants car ils jouent tous une partie différente et le chef peut se reposer sur eux. Mais il doit néanmoins connaître leurs limites, leurs tessitures et leurs possibilités sonores. Quant aux percussions, elles constituent un monde extrêmement vaste où seuls les spécialistes ont une réelle compétence: depuis les années 1930 environ, le nombre des instruments utilisés s’est considérablement accru, et rares sont les chefs qui les connaissent tous; parfois, les orchestres ne disposent pas des instruments requis et une substitution s’impose: elle est généralement décidée par le percussionniste, et le chef ne s’en rend pas toujours compte! Il s’agit d’un domaine où les connaissances des chefs pourraient être beaucoup plus complètes.L’ampleur de la gestique n’est pas un critère de qualité mais, à l’inverse, elle n’est pas l’apanage des mauvais chefs. Certains grands chefs d’orchestre dirigent avec peu de gestes, d’autres au contraire semblent soulever leur orchestre à bout de bras. Qu’elle soit ample ou discrète, la gestique doit être efficace et correspondre visuellement à la musique exécutée. Le chef est, à un certain point de vue, une traduction physique de la musique et, sans parler de mimique ou de chorégraphie, il doit au moins veiller à ce que son attitude ne soit pas en opposition flagrante avec le son émis.La présence ou l’absence de partition sous les yeux du chef d’orchestre pendant le concert est un autre sujet de controverse. Comme la discrétion de la gestique, le fait de diriger par cœur n’est pas un signe de qualité ou de compétence. Il y a certainement autant de chefs qui dirigent par cœur que de chefs qui dirigent avec la partition. Les chefs se sentent généralement plus libres lorsqu’ils n’ont pas à se soucier de la partition qui est devant eux: en la retirant, ils suppriment les tentations et peuvent se consacrer exclusivement aux musiciens. Mais encore faut-il qu’ils connaissent vraiment la partition par cœur, ce qui explique que certains ne dirigent pas toujours ainsi lorsqu’ils ne sont pas sûrs de leur mémoire.Aux différentes formes musicales correspondent différents aspects de la direction d’orchestre. Le chef est beaucoup plus libre lorsqu’il dirige une symphonie que lorsqu’il conduit un concerto ou un opéra. Les qualités qu’on attend de lui face à un petit ensemble sont très différentes de celles qu’il doit affirmer devant un orchestre symphonique. La musique symphonique sans soliste est le domaine où s’épanouit le plus librement le chef d’orchestre; les contraintes sont limitées et il est le seul maître. Lorsqu’il accompagne un soliste, il doit se tenir plus en retrait et adapter sa conception générale à celle du soliste: cette démarche peut venir d’un accord commun ou d’un effacement volontaire. Mais il est difficile d’envisager un chef dirigeant sans tenir compte du soliste qu’il accompagne. Dans le domaine lyrique, les contraintes sont beaucoup plus nombreuses; le chef dirige en fait trois groupes d’exécutants: les chanteurs, les chœurs et l’orchestre. La distance de la scène à la fosse, les impératifs de la mise en scène, les décors et les costumes peuvent poser des problèmes considérables que le chef doit surmonter avec sang-froid. Le calme est certainement la qualité prédominante dont il doit faire preuve dans la fosse car, outre ces contraintes «normales», une foule de petits incidents surgissent très souvent (décalages, réplique oubliée, rideau bloqué, entrée tardive...); il faut les cacher et résoudre les problèmes qu’ils posent afin que la représentation se poursuive normalement. Au-delà de cet aspect matériel, les qualités artistiques d’un chef de théâtre sont différentes de celles d’un chef de concert: le premier aura un sens dramatique plus aigu que le second, qui sera peut-être plus musicien.Le travail du chef d’orchestreLorsque le chef arrive devant son orchestre, il doit connaître parfaitement les œuvres qu’il va diriger. Mais les musiciens prennent généralement contact avec les œuvres lors de la première répétition. Certains d’entre eux ont peut-être effectué un travail personnel préalable, notamment s’il s’agit d’une œuvre rarement jouée ou d’une partition contemporaine, mais, en règle générale, l’orchestre commence à travailler avec le chef au moment de la première répétition. Ce travail d’orchestre est essentiellement personnel, chaque chef le menant à sa façon, en fonction des circonstances (qualités de l’orchestre, difficulté du programme, nombre de répétitions...) et de sa propre expérience. Le véritable métier s’acquiert progressivement et l’art de savoir faire travailler un orchestre se polit au fil des années et des expériences successives. Certains chefs préfèrent laisser l’orchestre prendre connaissance de l’œuvre en la faisant lire une fois sans interruption; puis ils font travailler les passages difficiles et forgent une interprétation personnelle qui doit tenir compte des réactions spontanées et des caractéristiques spécifiques de l’orchestre. D’autres préfèrent entrer d’emblée dans le vif du sujet et s’arrêtent au moindre incident pour rectifier ou faire travailler. D’autres enfin se fondent sur leur expérience et ne font travailler que quelques points cruciaux qu’ils savent difficiles; ils laissent ensuite les choses se placer petit à petit, pendant qu’ils impriment leur marque personnelle, faisant confiance aux qualités artistiques et techniques des exécutants.Il est d’autant plus difficile de dégager une règle de travail qu’un même chef d’orchestre ne procédera pas de la même manière pour répéter une même œuvre avec deux orchestres différents: un orchestre est un groupe d’hommes et de femmes plus ou moins homogène, dont le niveau technique et artistique peut considérablement varier.En outre, chaque pays ou chaque école instrumentale possède ses caractéristiques propres, dont il faut tenir compte. Ainsi, les orchestres latins réagissent très vite aux premières lectures, au point d’offrir un résultat présentable en un laps de temps très court; l’approfondissement et la qualité finale de l’exécution dépendent alors de l’emprise du chef sur ses musiciens au cours de la phase suivante du travail (un essai à transformer, en quelque sorte). À l’inverse, les musiciens germaniques travaillent de façon plus progressive, chaque étape de la construction d’une interprétation ne pouvant être abordée qu’après assimilation de la précédente, lorsque les instrumentistes se sentent en totale confiance avec le texte. Le poids de la tradition joue aussi un grand rôle dans l’univers germanique, ensemble de réflexes et de références qui sont souvent un allié précieux pour le chef. Enfin, un orchestre germanique possède toujours un sens collectif plus développé qu’un orchestre latin: c’est souvent une qualité – dans le répertoire classique et romantique –, c’est parfois un inconvénient lorsqu’il faut donner à l’exécution une grande liberté proche de l’improvisation, comme dans la musique française. Autre cas de figure bien spécifique, celui des orchestres anglo-saxons, qui répètent peu, pour des raisons économiques, mais qui sont parvenus à un étonnant niveau de professionnalisme garantissant une qualité d’exécution sans faille. Face à de tels mécaniques parfaitement huilées, le chef a rarement le temps d’imprimer sa marque.Les écoles de direction d’orchestreDepuis l’époque où la direction d’orchestre s’est affirmée comme une discipline autonome, elle a suivi, selon les pays, des chemins différents qui sont les reflets des institutions musicales de ces pays. La France semble avoir oublié assez rapidement la technique de François Habeneck, qui reposait sur un travail approfondi. Dès le début du XXe siècle, les orchestres donnent de plus en plus de concerts et répètent de moins en moins. En France, la direction d’orchestre s’adapte à ce contexte, et la plupart des chefs sont alors des baguettes virtuoses, capables de monter un programme en quelques heures de répétition; ils sont précis, vont droit à l’essentiel et font confiance aux instrumentistes mais ont peu le loisir d’approfondir leur travail: aucune grande figure ne marque un orchestre français comme Arthur Nikisch ou Wilhelm Furtwängler à Berlin et Leipzig. Cette notion de travail en profondeur n’émerge qu’au moment de la Seconde Guerre mondiale, lorsque Charles Münch est à la tête de l’Orchestre de la Société des concerts du Conservatoire, et il faut attendre la fin des années 1960 pour que tous les orchestres français adoptent progressivement ce principe de travail. La plupart des chefs français ont maintenant compris les fruits que peut porter un travail permanent et approfondi. Les aînés l’ont appris hors de nos frontières; ils font maintenant école.La tradition germanique est très différente. Wagner trouve à Paris le modèle des chefs et le modèle des orchestres en la personne de François Habeneck et de la Société des concerts. La confusion règne alors dans les orchestres allemands, et il faut attendre Hans von Bülow et ses successeurs (Arthur Nikisch, Gustav Mahler, Hans Richter, Felix Weingartner, Wilhelm Furtwängler et Bruno Walter) pour que la situation se clarifie et qu’un véritable travail d’orchestre s’instaure. Pendant les longs séjours à la tête des formations qu’ils dirigent, ces grands chefs forment les orchestres à leur image et leur donnent un style propre: Nikisch et Furtwängler à la Philharmonie de Berlin, Mahler et Bruno Walter à la Philarmonie de Vienne, Willem Mengelberg au Concergebouw d’Amsterdam. Tous suivent la même filière, qui commence dans les coulisses d’un opéra où ils sont d’abord répétiteur ou chef des chœurs; ils gravissent ensuite progressivement les échelons de la carrière et acquièrent une expérience très complète qui leur permet de s’adapter à toutes les situations que peut rencontrer un chef d’orchestre, à l’opéra comme au concert.Les pays anglo-saxons et, surtout, les États-Unis ont construit toute leur politique musicale en matière symphonique sur cette notion de permanence du chef d’orchestre. L’Orchestre de Philadelphie en est le meilleur exemple puisqu’il n’a connu que trois directeurs musicaux entre 1912 et 1992, Leopold Stokowski, Eugene Ormandy, qui a régné sur cet orchestre pendant plus de quarante ans, et Riccardo Muti. Les orchestres de Chicago, de Cleveland, de Boston ou de la N.B.C. ont connu des périodes analogues avec respectivement Fritz Reiner et Georg Solti, George Szell et Lorin Maazel, Serge Koussevitzky, Charles Münch et Seijo Ozawa, Arturo Toscanini. De nos jours, le principe subsiste toujours.En Italie, l’art lyrique occupe une place souveraine et les chefs d’orchestre consacrent l’essentiel de leurs activités au théâtre. Leur formation correspond à cet impératif et il faut attendre la venue de Toscanini à la Scala de Milan, en 1898, pour que l’orchestre sorte de son rôle d’accompagnateur et soit considéré comme l’un des principaux protagonistes des réalisations lyriques. Les chefs osent alors faire travailler les orchestres mais, à l’exception de Toscanini, et, aujourd’hui, de Claudio Abbado et de Riccardo Muti, aucun ne marque véritablement son orchestre. À cet égard, l’école italienne se rapproche un peu de l’école française d’hier.En Europe centrale et orientale, des figures comme Václav Talich, Evgeni Mravinski, Kirill Konrachine, Václav Neumann, Evgeni Svetlanov ont marqué profondément leurs orchestres par une collaboration de longue durée et une exigence frôlant parfois le despotisme (Mravinski).Le développement des échanges et des communications a créé une sorte d’osmose entre les différentes écoles: les chefs voyagent beaucoup plus facilement et, au contact les uns des autres mais aussi au contact des orchestres étrangers, ils enrichissent leur direction d’éléments spécifiques à d’autres écoles. Ce phénomène va d’ailleurs en s’accentuant, car les jeunes chefs franchissent bien souvent les frontières pour aller travailler avec de grands maîtres étrangers.La montée en puissance des orchestres baroques et classiques qui jouent sur des instruments d’époque dans un style d’exécution «reconstitué» a créé un nouveau rapport entre chef et orchestre, plus proche de la musique de chambre. Ces formations travaillent presque exclusivement avec le même chef, qui est souvent un instrumentiste (Nikolaus Harnoncourt, Frans Brüggen, Sigiswald Kujiken, Ton Koopman) ou un chanteur (René Jacobs). L’essentiel du travail repose sur le style, l’ornementation, le rythme, et la décision collective joue parfois un rôle important. Certains de ces chefs s’échappent progressivement du sérail pour diriger des orchestres traditionnels avec lesquels ils remettent en cause deux siècles d’habitudes auxquelles les instrumentistes sont jalousement attachés. Ce mélange des genres n’est pas toujours heureux mais il reflète une volonté de décloisonnement sans laquelle l’univers symphonique risque de se scléroser à terme.La formation des chefs d’orchestreL’enseignement de la direction d’orchestre est apparu assez récemment. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les chefs d’orchestre étaient des hommes d’un certain âge qui, ayant acquis leur expérience dans un théâtre lyrique ou derrière un pupitre d’orchestre, montaient un beau jour sur l’estrade pour diriger. Certains grands maîtres prodiguaient volontiers quelques conseils à de jeunes postulants, mais cet enseignement restait très théorique: au mieux disposaient-ils d’un piano!Au lendemain de la guerre, plusieurs pédagogues comprennent qu’il est indispensable que l’apprenti chef d’orchestre travaille avec son instrument, au même titre que le violoniste ou le pianiste. Les classes de direction d’orchestre commencent à voir le jour: les jeunes chefs trouvent en face d’eux des musiciens grâce auxquels ils rencontrent les véritables problèmes qu’ils devront affronter par la suite; ces instrumentistes sont généralement de jeunes musiciens qui ont ainsi l’occasion de s’initier au travail d’orchestre. En dehors des classes permanentes qui se créent dans les conservatoires et écoles spécialisées, de nombreux stages internationaux permettent aux jeunes chefs de travailler avec des maîtres étrangers et de prendre contact avec l’enseignement d’autres écoles. Il se produit donc une certaine osmose qui nivelle les caractéristiques nationales. Mais la création d’un enseignement de la direction d’orchestre se traduit, quelques années plus tard, par un bouleversement capital: on voit apparaître, à la tête des orchestres, de jeunes chefs qui possèdent des connaissances souvent plus développées que leurs aînés lorsqu’ils montaient au pupitre pour la première fois. Cependant, le manque d’expérience modifie les rapports entre le chef et l’orchestre et il est certain que, au cours des premières années de leur carrière, les jeunes chefs apprennent plus des orchestres qu’ils ne leur apportent. Cette période initiale demande un sens psychologique aigu et le jeune chef doit s’appuyer sur ses qualités personnelles, parfois extramusicales, pour combler les lacunes de l’inexpérience. Nombreux sont ceux qui commencent dans l’ombre d’un grand maître auquel ils servent d’assistant en effectuant souvent pour lui les répétitions préliminaires. Si cette situation n’aide pas l’autorité à se développer, elle permet, en revanche, d’acquérir très rapidement un métier de haut niveau que reconnaîtront et respecteront les exécutants.CodaLa direction d’orchestre attire de plus en plus tous les musiciens. Certains grands instrumentistes croient pouvoir diriger avec autant de bonheur qu’ils jouent du violon ou du piano. Ils dirigent effectivement parce qu’ils ont un nom, mais rares sont ceux qui ont la patience d’apprendre les rudiments techniques de la direction. Ils dirigent la plupart du temps d’excellents orchestres qu’ils laissent jouer. Mais les exécutants ne s’y trompent pas: la direction d’orchestre exige un don primordial qui ne s’acquiert pas, le bras. Elle nécessité une formation technique de plus en plus complète, au même titre qu’un instrument. Elle réclame enfin des qualités humaines, un contact, un sens de la psychologie, de l’organisation, de la décision, de l’analyse, car le chef est aussi le «médecin» de l’orchestre. Et, avant de guérir un passage malade, il faut diagnostiquer la maladie. Rien de tout cela ne s’improvise.
Encyclopédie Universelle. 2012.